Les fantômes transgénérationnels ou l'influence des morts chez les vivants

Publié le par Christiane Perreau

 Le temps n'efface pas la douleur

Quelle famille n’a pas eu à faire face à une mort violente, déchirante, prématurée, ingérable que chacun a tenté d’oublier, faisant comme si rien ne s’était passé et « mettant au placard » cette perte immense, pensant que le temps effacerait la douleur ? Certes le temps panse bien des blessures et aide au deuil mais n’efface pas les effets profonds de la perte. Ce qui a été refoulé est là, dans la Conscience, agissant dans l’ombre, souvent comme une bombe à retardement.

En effet, ces morts exclus, ces deuils non faits, ces traumatismes refoulés, ces drames occultés vont hanter la conscience familiale, parfois sur plusieurs générations. Il arrive de devoir remonter à 7/8 générations, notamment quand les circonstances ont été particulièrement tragiques et dévastatrices. Meurtres, infanticides, faits de guerre (Shoah), dictatures laissent des empreintes qui causent des effets indésirables, incompréhensibles et parfois violents sur plusieurs générations suivantes ; ils se manifestent sous diverses formes ; en voici quelques exemples :

  • ·      maladies physique ou mentale (cancers, troubles obsessionnels, schizophrénie)
  • ·      échecs sentimentaux à répétitions
  • ·      suicides, accidents,
  • ·      certains avortements, certaines fausses couches
  • ·      comportements agités chez des enfants vivant dans l’ angoisse de la mort et qu’ils extériorisent par de la colère, des cauchemars terrifiants, des inhibitions, des compulsions.
  • ·      échecs professionnels, faillites, conditions de survie difficiles.

La personne qui vit de telles perturbations est loin de soupçonner qu’elle est en train de subir les conséquences d’une mort  dont ses ancêtres n’ont pu vivre, en toute conscience, la douleur.

Conséquences des deuils non faits

Les personnes oubliées, niées sont ainsi exclues du système ce qui le blesse et  le désorganise profondément. En effet les exclusions constituent des trous ou vides psychiques dans le système qui happent l’attention des descendants ; ils perçoivent qu’il manque quelqu’un sans pouvoir réellement le nommer ou se le représenter ; ce phénomène est appelé fantôme transgénérationnel en psychogénéalogie ; il est la conséquence d’un traumatisme émotionnel vécu par un ascendant qui n’a pas pu accueillir, transformer un événement traumatique qui l’a mis dans un état de confusion, d’insensibilité, d’inconscience. Cette structure psychique est d’autant plus active et puissante que l’histoire est tenue secrète.

Les descendants et particulièrement les enfants savent qu’un des leurs a été ignoré, rejeté, caché et que leur clan est incomplet. Or pour qu’un système soit en ordre et permette d’aller vers l’avant, vers la vie,  il doit être complet ; c’est une des lois fondamentales que Bert Hellinger a mis en évidence. Toute personne née dans une famille a le même droit d’appartenance qu'elle que soit sa condition physique, mentale, politique, religieuse, sociale, qu’elle soit vivante ou morte. Un système complet est une force de vie et une source d’harmonie.

Mais lorsqu’il est impossible à une famille bouleversée de métaboliser une douleur, refoulant des émotions ingérables (colère, rage, haine, chagrin, honte, peur), le cycle reste ouvert et persiste au-delà du temps chronologique. Par contre, le temps psychologique, celui des personnes choquées,  sidérées, s’arrête, se fige dans la mort, la douleur et la peur.

Quelqu’un va essayer de réparer cette histoire, de sauver son clan, en représentant la personne manquante, ses symptômes, ses émotions non exprimées. Ce quelqu’un est souvent un enfant qui tente de combler cette béance de façon inconsciente et aveugle. Il est difficile de résister à une telle attraction ou pression, ignorant que cela va ajouter du chaos au chaos. Entrer dans une dynamique pour sauver un parent, un frère, une sœur, un grand parent donne bonne conscience. Et cela assure le droit d’appartenance. Appartenir à un clan est fondamentalement une question de survie. Et l'enfant n'a pas le choix.

Un chemin de réparation

La constellation est une approche efficace pour révéler ces liens toxiques que nous appelons intrications en constellation où ils deviennent réels, visibles, concrets grâce à la représentation de l’image invisible que nous portons. Nous sommes totalement inconscients de ces structures et il est difficile de les saisir dans un travail classique de psychothérapie. La psychogénéalogie avec son étude méthodique de  l’arbre généalogique permet également d’identifier de tels mouvements.

Quelle n’est pas la surprise, la stupéfaction d’une personne qui vient de placer sa constellation, de constater qu’elle est aspirée par un ancêtre mort ou une petite sœur morte !! « C’est plus fort qu’elle », que sa propre volonté !! Elle est emportée par ce mouvement. Abasourdie, bouleversée, elle voit son représentant se coucher parmi les morts de la guerre 14/18 ou être fasciné par un grand père décédé accidentellement laissant sa toute jeune femme enceinte dans un profond désarroi ou se coller à une sœur jumelle morte in-utero ou être happé par un enfant qui a dû être sacrifié pour que la mère reste en vie ou être attiré par une victime et son bourreau (observable dans les cas de schizophrénie où l’assassin a la particularité de faire partie du système de la victime).

Ainsi beaucoup de personnes veulent aller rejoindre les leurs, au royaume des morts alors que ce n’est pas le moment pour elles, leur propre destin restant à accomplir. Or, les morts ne souhaitent nullement que les vivants les rejoignent. Ils sont plutôt heureux que ceux-ci s’épanouissent en réalisant leurs propres aspirations. Mais ces morts sont souvent tellement vivants dans leur esprit que la limite entre le monde des vivants et des morts est floue. Cette structure s’impose facilement sous la pression d’un système déséquilibré par l’exclusion.

Le petit enfant, dans sa pensée magique et naïve, croit qu’en retrouvant son père mort ou son petit frère mort-né, ce sera une réunion de famille, des retrouvailles familiales. Il peut même croire qu’il a le pouvoir de faire revenir papa ou le petit frère et que tout sera comme avant. Il croit que se sacrifier pour son système va soulager ses ancêtres, les oubliés, les disparus ! En fait, il n’a pas conscience que les morts n’appartiennent plus au même monde de réalités que lui. Il ne sait pas que les morts disparaissent à tout jamais de cette vie et qu’ils existent peut-être sous une autre forme, dans un autre état vibratoire. En tout cas, la constellation nous le laisse à penser.

Il y a aussi certaines personnes qui ont du mal à quitter le monde des vivants ; certaines s’accrochent à l’existence peut être parce que quelque chose n’a pas été accompli, dit, pardonné. D’autres ont été foudroyées dans un accident, à la guerre alors qu’elles étaient jeunes et n’ont pas vraiment réalisé qu’elles avaient quitté leur corps, leur famille. La perte de l’existence a été trop brutale, le changement d’état trop brusque. Il sera alors important de leur signifier qu’ils sont morts, qu’ils n’appartiennent plus à notre monde et que nous, nous avons encore un temps à vivre avant de les rejoindre, l’heure venue. Cela libère morts et vivants.

Il y a aussi ces enfants (des adultes aussi) qui font un déni total de la mort d’un parent tellement c’est insupportable et terrifiant ; alors ils maintiennent « en vie » le parent ou le conjoint, par des rituels, des photos, des communications, l’empêchant de se retirer vraiment. Ils refusent de savoir que papa est mort, que la compagne ne sera plus jamais là ce qui les amènerait à ressentir la douleur de la perte, leur chagrin, leur colère. Ils ne réalisent pas qu’ils se piègent dans la mort. À lutter contre la mort, ils ne vivent pas et deviennent des morts vivants.

Se libérer des fantômes transgénérationnels

Pour être libérés de l’emprise de ces fantômes, nous devons vivre pleinement et consciemment la douleur ; colère, chagrin, révolte, peur doivent être vécus, exprimés. Quand un descendant vit ce qui a été refoulé, caché par ses ancêtres, les morts se sentent respectés dans leur destin, reconnus dans leur souffrance, honorés ; ainsi peuvent-ils reprendre leur place et leur dignité dans le cercle familial, dans la conscience des vivants. Le descendant peut enfin se désidentifier de ce qui ne lui appartenait pas. Cela se passe grâce à une communication subtile d’esprit à esprit. Le système retrouve sa complétude et devient une force bienveillante, porteuse de vie. Ainsi ces morts reposent-ils en paix dans notre esprit personnel et dans le vaste monde de l’esprit collectif, celui de l’humanité.

Si vous n’arrivez pas à vous débarrasser de certaines répétitions, de certaines obsessions, de certains comportements (suicidaires, angoisses, existence sans horizon, sans épanouissement), et ce malgré un travail thérapeutique sérieux, vous pourriez soupçonner d’être sous le joug d’un fantôme transgénérationnel, d’un ancêtre absent, exclu, non respecté, vivant ou mort dont l’histoire a été tenue secrète.

C’est parfois un travail de longue haleine car se distinguer de telles intrications ravivent la mauvaise conscience ; certains ont du mal à abandonner leurs morts à leur destin, ils se sentent coupables… Et puis tout un pan de leur histoire a été construite sur cette identification qui donne sens et oriente leur destinée ; cette  construction mentale est tellement bien bouclée, protégée qu’elle en est devenue invisible.

Mais ce n’est pas une fatalité. Avec de la persévérance et des aptitudes à faire face à ce qui est, vous pouvez mettre fin à ces cycles commencés parfois il y a longtemps et trouver la paix. Et la constellation est  un outil efficace pour mettre à jour ce monde invisible et dissoudre ces mémoires inconscientes.

Christiane Perreau

 

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :