La femme enceinte et la dépression : impacts sur l'attachement
Suite de la thèse de docteur en médecine
de Maud Perreau, intitulée
La dépression pendant la grosesse : enjeux diagnostiques et thérapeutiques actuels -
2éme partie
de Maud Perreau, intitulée
La dépression pendant la grosesse : enjeux diagnostiques et thérapeutiques actuels -
2éme partie
** Le développement de l'attachement (suite)
Afin de mieux comprendre les mécanismes de la transmission de l’attachement, revenons brièvement sur le développement normal de l’attachement tel que John Bowlby l’a exposé (16) .
Pour lui, l’attachement met environ neuf mois à se développer pour le bébé. C’est le temps nécessaire pour que le style d’attachement s’établisse de manière définitive pour le donneur de soins ou « caregiveur » principal. En effet, le style d’attachement est caractéristique d’une relation donnée entre le bébé et une personne. L’enfant s’attache de manière principale à la personne qui s’occupe le plus de lui, c’est à dire qui lui fournit des soins et de l’attention de manière continue, soit le plus souvent la mère.
Bowlby s’est beaucoup inspiré de l’éthologie et des études faites avec les primates qui ont bien montré que le bébé singe préfère une mère chaleureuse qui ne le nourrit pas à une mère nourricière mais dénuée de douceur. De la même manière, le bébé humain recherche avant tout l’affection et la sécurité que sa mère lui procure. Les critères qui semblent essentiels pour devenir une figure d’attachement sont donc la présence physique et émotionnelle continue auprès de l’enfant.
La qualité de la présence émotionnelle peut être définie par une bonne sensitivité et une bonne fonction réflexive. La sensitivité est selon Mary Ainsworth, la capacité « de percevoir et d’interpréter correctement les signaux de l’enfant puis d’y répondre rapidement et adéquatement » (17) .
La fonction réflexive est « la capacité d’un individu d’aller au-delà d’un phénomène immédiatement connu et de répondre au comportement d’une manière qui indique que l’individu a évalué et pris en considération l’état psychique de l’autre quand il organise ses propres actions en relation avec autrui » (18) .
Ces deux qualités dépendent en grande partie des soins que la mère a elle-même reçus étant enfant et qu’elle a intégré en modèles internes opérants. Un autre facteur important est le caregiving, qui là encore dépend des expériences enfantines et de la représentation que la mère se fait des soins au bébé.
Nous pouvons craindre qu’une mère dépressive ne soit pas en mesure d’être présente psychiquement pour son enfant, même si elle donne des soins physiques adéquats. La dépression risque de fausser le jugement de la maman, qui interprétera de manière erronée les signaux de son enfant.
Et en effet, selon une méta-analyse reprenant 46 études de mères déprimées, il a été montré une association entre la dépression et un comportement parental « désengagé » et « négatif ». Ce sont des mères qui jouent moins avec leurs enfants, leur parlent moins, sont moins prévoyantes et positives. Il est vrai qu’elles ont aussi tendance de ce fait à percevoir leur bébé de manière plus négative, mais des études montrent de manière objective que dès l’âge de deux mois, ces nourrissons sont moins actifs et interagissent moins avec leur environnement. Ils sont également plus irritables, ont tendance à être inconsolables, et dorment moins bien.
L’impact du défaut de sensitivité se fait donc ressentir précocement et pas uniquement au niveau de l’attachement. A l’âge d’un an ces enfants présentent un retard dans les acquisitions (22). Un deuxième type de mères dépressives a été décrit (19) , elles sont cette fois-ci intrusives et interfèrent avec leurs enfants de manière colérique. Et enfin, certaines arrivent à se mobiliser suffisamment pour être positives et à l’écoute de leurs nouveau-nés malgré la dépression.
Les enfants, en corrélation, réagissent différemment : les premiers sont difficiles, agités et pleurent beaucoup, les seconds pleurent peu mais interagissent peu avec leurs mères et évitent son regard, les derniers ont un comportement similaires à ceux de mères non dépressives. Sans pouvoir affirmer cela avec certitude, nous constatons malgré tout que le premier type de comportement maternel semble favoriser un comportement de l’enfant proche de celui décrit dans l’attachement ambivalent et le deuxième celui de l’attachement évitant.
La dépression persistant en post-partum favoriserait donc l’insécurité mais pas un pattern plus qu’un autre.
Bibliogrraphie
(16) Bowlby J.
L’attachement. Tome 1.
Paris : Presses Universitaires de France ; 2002.
(17) Ainsworth MD.
Attachment beyond infancy.
American psychologist 1989 ; 44 : 709-16.
(18) P. Fonagy.
La compréhension des états psychiques, l’interaction mère-enfant et le développement du self.
Devenir 1999 ; 11(4) : 7-22.
(19) Weinberg KM, Tronick EZ.
The impact of maternal psychiatric illness on infant development.
J Clin Psychiatry 1998 ; 59(2) : 53-61.