Les secrets de famille

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Les secrets de famille ne s’opposent pas à la vérité,
ils s’opposent à la communication
Serge Tisseron




L’article sur la crise et le silence ont amené certains lecteurs a soulevé la question d’un autre silence, celui des secrets de famille qui nient, cachent, excluent, celui des non-dits, des mal-dits qui conditionnent, à notre insu, nos destins, apportant ignorance et souffrance sur plusieurs générations.

Ces silences là tuent, causent des maladies (mal-à-dire),  des actes destructeurs envers nous-mêmes, affaiblissent notre système alors que le Silence, qui est notre vraie nature, nourrit et vivifie. Les uns sont porteurs de mort, d’apathie, de renoncement,  l’autre est la Vie, source de paix, de  sérénité, d’épanouissement. Ces secrets nuisibles n’ont rien à voir à nos jardins secrets, espaces d’intimité, voire de complicité. Ils sont liés à des événements ayant provoqué la honte, l’horreur, la culpabilité. La mort et la sexualité y sont étroitement liées. Ils constituent comme des trous noirs qui absorbent l’attention et la conscience des personnes impliquées.

Dans les constellations, nous voyons que ce sont les crises, non gérées dans le temps présent au sein de la cellule familiale, notre groupe d’appartenance,  qui créent des perturbations lorsqu’ il y a eu des ruptures de réalités (deuils soudains, maladies, incestes, divorces, viol, guerres) ;  celles-ci entraînent des ruptures de communication, des non-dits, des silences qui deviennent des secrets. C’est le triangle de la compassion qui se rétrécit et engendre incompréhension, confusion, inconscience. Les secrets nous éloignent du chemin de la communion, nous exilent de nous-mêmes, de qui nous sommes en Essence.

Mais ces silences ne sont pas si silencieux que cela puisqu’ils traversent les générations et que des enfants, des descendants vont les subir et tenter de les réparer, en s’identifiant à un exclu, en reproduisant un acte néfaste ou en payant la dette d’ un ancêtre qui n’a pas assumé ses fautes. Car, comme le dit Serge Tisseron, “un enfant soumis à un secret indicible sent très bien que sa famille lui cache une vérité essentielle”.

Ainsi les secrets deviennent-ils le terreau propice aux loyautés familiales invisibles et inconscientes. Il est moins dévastateur de faire face à une réalité douloureuse, traumatique voire honteuse que d’être sous l’emprise d’un secret. Car le secret devient plus lourd de conséquences sur le long terme.



Ils en ont parlé les premiers

Ce sont deux psychanalystes freudiens qui ont introduit cette notion de secrets, avec les concepts de cryptes et de fantômes, en 1978 en publiant L’Écorce et le Noyau où ils définissent le fantôme  comme “une formation de l’inconscient qui a pour particularité de n’avoir jamais été consciente” ou comme “le travail dans l’inconscient, du secret inavouable d’un autre (inceste, crime, bâtardise"(1). Ils ont émis cette hypothèse en constatant que des patients avaient fait des actes qu’ils ne comprenaient pas, comme téléguidés par un autre, ce que confirmait leur entourage.

Anne Ancelin Schützenberger écrit que “ce fantôme, ce serait comme quelqu’un qui sortirait de la tombe mal fermée d’un ancêtre, après une mort difficile à accepter, ou un événement “dont on a honte”, ou une “situation difficile” pour la famille, quelque chose de très mal vu, de “moche”, de “louche”, de “pas bien” pour la mentalité de cette époque-là. (...) Il s’agit d’oublier quelque chose ou quelqu’un qui était disgracié ou avait disgracié la famille, laquelle on avait honte, et dont on ne parlait pas.

Tout se passait comme si un membre de la famille gardait ce non-dit qui était devenu un secret, et dont il était devenu le seul détenteur, dans son coeur, dans son corps, comme dans une “crypte” en lui, et que ce fantôme, de temps en temps, en sortait et agissait , après une ou deux générations”(2)




Quels sont ces secrets inavouables ?

Ils concernent tout ce qui porte atteinte à l’image d’une famille, tout ce qui fait honte et tout ce qui n’aurait pas dû être. Viennent en priorité des événements concernant :

---les liens familiaux, la filiation : le père biologique était en fait un prêtre, frère du père officiel, ou bien le père biologique était un homme de condition sociale élevée, amant de la maman ; un enfant avant le mariage que le père renie parce que la mère est d’une condition sociale “inférieure” ou que la mère tente de cacher pour ne pas déshonorer sa famille ou être confrontée à la violence de son père ; il n’y a  pas si longtemps où être une fille mère ou un enfant naturel était dramatique ; les cas de stérilités non assumées où l’enfant ignore qu’il est né d’un don de spermatozoïdes ou qu’il a été adopté.
---la maltraitance physique ou morale des enfants ou des femmes.
---la mort : autrefois les enfants morts nés ou en bas âge étaient rayés de l’arbre généalogique.
---les suicides : il faut savoir que jusqu’en 1983, le suicide était condamné par l’église et donc c’était un fait qu’il fallait cacher ...
---l’inceste, fait hautement douloureux à assumer et qui souvent est connu de la mère “complice” -parce qu’elle ne peut assurer son rôle de femme- ou de quelques membres de la famille qui se taisent et font semblant de ne pas voir.
---la sexualité : la pédophilie, le viol d’une mère par des soldats allemands, l’homosexualité d’un Tonton,
---Les infanticides qui furent jusque dans les années 50 le “moyen de gérer les naissances indésirables”,
---les condamnations, la prison : le père est allé en prison pour cause d’inceste ou pour vol et l’on raconte à l’enfant que papa est parti en voyage par exemple !
---les crimes, les faits de guerre, la déportation ; le mythe d’un père héroïque qui était en fait un bourreau, car il a envoyé en camps de concentration des juifs ou des voisins pour des raisons de jalousie ou bien il a torturé l’ ennemi ; certains anciens combattants de la guerre d’Algérie portent en eux des zones d’ombre indicibles...

Les  causes suivantes  créent également des secrets qui hantent les familles, à des degrés moindres :

---les avortements, la légalisation de l’avortement étant récente
---les accouchements ayant engendré la mort de la mère ou le décès d’un enfant qu’il a fallu sacrifié pour la survie de la maman
---certaines maladies comme le sida et autrefois la syphilis, la tuberculose, la folie.
---le handicap physique, mental.
---les escroqueries, les faillites.


Les enfants savent.....

Un enfant sait inconsciemment ce que la famille tente de lui dissimuler et plus ce sera tu, plus cela devient dangereux pour le système. En fait, le secret en lui même, son contenu est moins dévastateur que ses conséquences ; les enfants sentent, perçoivent que quelque chose est “louche”, pas clair, “pas bien” par des mimiques, des mots ou des silences, des lapsus, des attitudes, en captant les sentiments de honte ou de culpabilité d’un parent. En fait, le secret distille sournoisement son venin dans l’inconscient familial, devenant de plus en plus toxique. Il crée des ruptures de communication, des ruptures d’élan vital,  des scissions et un éloignement entre les membres de la famille.

Les enfants ont une conscience aigüe de la globalité de leur système d’appartenance, ce qui fait qu’ils savent ; ils savent qu’il manque quelqu’un, qu’un grand père s’est noyé pour mettre fin aux douleurs intolérables que lui causait son cancer de la prostate ou qu’une aïeule était folle et a étouffé un de ses enfants. Ils savent mais sans pouvoir le nommer ce qui cause des identifications, des symptômes et comportements pouvant conduire à l’alcoolisme, la toxicomanie, la délinquance que les constellations mettent en évidence.

 Ce que les parents ou ancêtres n’ont pas mis en mots, les enfants le mettent en maux, condamnés à répéter jusqu’à ce les faits soient mis à jour, conscientisés, et les personnes concernées reconnues, inclues dans le système.

Comme le dit Didier Dumas, psychanalyste, “Ne pas révéler un secret de famille à nos enfants, c’est les condamner à répéter les fautes de leurs ancêtres. Il faut savoir que l’inconscient est transgénérationnel. L’enfant se construit par identification, c’est à dire en dupliquant littéralement l’inconscient de ses parents, avec son lot de représentation mais aussi de trous formés autour d’une absence de parole, de questions laissées sans réponse ou de secrets traumatiques. Le non-savoir nous condamne à nous heurter aux mêmes difficultés que nos parents ou grands-parents, et à ne pas pouvoir les dépasser.” (3)


Trois générations pour verrouiller un secret

En principe, le secret agit sur plusieurs générations. Il y a la génération qui n’a pas confronté l’incident traumatique et est donc génératrice du secret, prise entre le désir de dire et la peur d’avouer. Une attitude ambivalente qui crée des troubles dans la communication ce que perçoivent les enfants qui vont être perturbés . Deux mouvements contradictoires se heurtent -je dis/je dis pas- qui figent la personne, qui va avoir des comportements étranges, qui piégent une quantité importante de son attention.

À la deuxième génération, le secret est ignoré et devient innommable. Toutefois, les enfants le sentent et du coup vont se couper en deux : une partie qui sait que quelque chose est dissimulé et une autre partie qui veut ignorer et faire taire celle qui sait ; cela cause des conflits importants qui ont des répercussions graves sur la structure psychique des enfants qui iront jusqu’à manifester des troubles de personnalité et des symptômes graves.

À la troisième génération, le secret est plus refoulé et donc plus néfaste. D'innommable, il est devenu impensable, inconcevable !!! Ce qui va accentuer les symptômes, entraînant de la délinquance, de la toxicomanie, des cas de schizophrénie. La personne a un  ton chronique émotionnel bas avec de la dépression, des angoisses, des idées suicidaires, des pensées obsédantes qu’elle ne comprend pas et qu’elle ne peut maîtriser.



Les secrets dans une constellation

Lorsque nous mettons en place un positionnement et que quelque chose n’aboutit pas, que nous rencontrons un blocage que le constellant ne peut expliquer, alors nous émettons l’hypothèse d’un secret. Pour vérifier, l’animateur  demande au client de choisir une personne pour représenter le secret, ce que nous ne connaissons pas, en laissant le choix d’un représentant de sexe féminin ou masculin, ce qui peut déjà donner une indication.

Si l’hypothèse se confirme, nous avons accès à de nouvelles informations et le système va manifester des ressentis, des symptômes jusque-là incconu ; les représentants vont dire qu’ils ont peur ou qu’ils n’aiment pas ce qui se passe ou au contraire, d’autres vont éprouver du soulagement depuis que le secret est entré ; il n’est pas rare d’entendre un représentant   dire “maintenant je n’ai plus à m’en occuper, cela ne me regarde plus, je vais pouvoir être plus tranquille, je suis soulagé” ;  et les identifications apparaissent plus clairement : qui est possédé par le fantôme, à quelle génération.

Nous n’allons pas rentrer dans les détails du secret, l’objectif étant de voir, de comprendre que quelque chose de grave s’est passé,  un infanticide, un inceste, un viol ou une maladie mentale. L’important est de permettre  l’amorce d’un processus de désidentification des personnes concernées. 

Parfois, ce qui se montre dans la constellation semble trop lourd et nous introduirons deux personnes à cette place. Nous pouvons rencontrer aussi de la résistance à ce que le secret soit su, connu de la part du système ou d’un parent ; si cette résistance est trop importante, nous demandons une autorisation à la personne concernée et nous ne transgresserons pas sa réponse. Il est crucial de faire comprendre que nous ne voulons pas travailler contre cette personne, contre le système mais avec.

Il est des cas où le secret sera respecté. Nous amènerons le système à prendre conscience d’un secret, qui ne peut être levé pour le moment. Des phrases comme “je te vois, je sais qu’il y a quelque chose de grave mais pour le moment, je te respecte” permettront déjà d’alléger le contexte, de faire des premiers pas vers un autre possible. L’essentiel est de permettre à la personne de réaliser qu’elle est sous l’emprise de quelque chose qui vient de son système et qui lui fait faire des actions incompréhensibles, incontrôlables. Certains secrets restent secrets et l’accompagnement consistera à permettre au client de trouver un chemin en lui, pour s’approprier son histoire tout en évoluant vers son propre destin. L’important est qu’il réalise qu’il ne peut rien aux malheurs passés de sa famille et qu’il est temps de rompre avec cette loyauté et qu’il se retire de cette intrication.. Donner une place au secret, c’est déjà l’exorciser, lui ôter du mystère, donc du pouvoir.

La révélation est libératrice parce qu’elle permet de décharger une partie des ressentis négatifs. Elle permet surtout  d’identifier avec qui la personne est intriquée, pouvant ainsi se libérer du fantôme de l’ancêtre. Ainsi des répétitions, des émotions peuvent s’arrêter. Un enfant arrête de se droguer car les parents ont pris conscience et intégré dans leur tribu un grand père violeur ou une femme peut enfin être enceinte parce qu’elle a reconnu une aïeule qui avait tué trois de ses enfants. Cela permet d’accéder à un nouveau point de vue, un nouvel ordre qu’il appartiendra à la personne de réaliser, d’intégrer dan son quotidien.

Néanmoins, la révélation peut ne pas suffire ; ce sont souvent des blessures très profondes qui demandent  un accompagnement  soutenu afin que la personne puisse évacuer toute sa douleur et prenne conscience des croyances, des schémas, des programmes mis en place pour rester fidèles à son clan. Un travail sur l’arbre généalogique est des plus précieux. Il est important d’amener la personne à prendre conscience qu’elle n’a plus à porter un fardeau qui ne lui appartient pas et qu’elle doit le restituer à ceux qui en sont cause, en sachant que cela permet à tout le monde de retrouver de la dignité.


La révélation d’un secret n’est pas sans conséquences

Souvent le secret est caché par les parents, pensant, à tort, protéger l’enfant. Ils veulent éviter le mal, repousser le mauvais exemple par peur que l’enfant devienne comme l’oncle escroc ou alcoolique et violent comme le  grand père ; or ce sont justement ces conditions d’évitement qui entraînent les identifications. Rappelons que les constellations nous montrent que toutes les personnes nées dans un système ont le même droit d’appartenance, indépendamment de leurs qualités ou “défauts”. Mieux vaut dire la vérité, dire ses erreurs, ses fautes ou son chagrin ou pourquoi nous nous sommes trompés ; c’est cela qui arrête les répétitions.

Les enfants ont besoin de connaître ce qui les concerne et influe sur leur destin ; il est important qu’un enfant sache sa place dans la fratrie, s’il a des demis frères ou demies soeur, connaisse sa filiation, soit informé si un parent ou lui-même a une maladie grave. Il est nécessaire d’adapter le langage à son âge afin que les informations soient intégrables.

Pour autant, il est des choses qui ne regardent pas les enfants, comme la vie sexuelle des parents ou leurs difficultés de couple afin qu’ils ne se sentent pas responsables du bien-être des parents.

Révéler un secret ouvertement dans le système n’est pas sans conséquences ; cela demande du courage et la capacité à faire face aux conséquences. En effet, la révélation va perturber le système dans un  premier temps et cela suivant l’importance des actes et des personnes concernées. Si la constellation nous montre une direction pour aller mieux, elle ne résout pas tout.

Ainsi quelqu’un qui découvre que sa fille a fait l’objet d’attouchements sexuels de la part du grand père maternel va être bouleversé et a besoin d’avoir des explications et une reconnaissance de la part de l’auteur du méfait. Et là, les choses se compliquent parfois car la personne peut avoir du mal à assumer la faute dans la réalité ; elle peut même chercher des justifications et devenir agressive envers “ses victimes”.

Mais il y a des secrets qu’il est parfois urgent de dévoiler, pour sauver l’intégrité morale et physique d’un enfant, d’une femme maltraités. Suivant la gravité des faits, rendre connu le secret pourra être préparé, en évaluant les conséquences pour mieux les maniant. Cela demande de la diplomatie et une clarté dans les intentions qui conduisent à dire la vérité. Dévoiler un secret est le commencement d’un cheminement de réconciliation envers les protagonistes et envers soi qui demande du temps.

Chaque mensonge important dans notre vie actuelle
doit nous faire penser au fait que nous touchons,
sans le savoir la plupart du temps,
à des “noyaux” émotionnels constitués autour de secrets
parmi les plus importants de l’histoire de notre famille.
D’autre part, on peut dire que tout mensonge nous place “hors réalité”.
Être hors réalité, c’est être mort.
Se maintenir prisonnier de secrets de famille équivaut à un arrêt des processus de vie individuels
et l’on se trouve comme “possédé” par les difficultés ancestrales. (4)



Christiane Perreau


 

Bibliographie :
(1) l’Écorce et le Noyau Nicolas Abraham et Maria Torök
(2) Aie, mes aïeux Anne AncelinSchützenberger
(3) l’Ange et le Fantôme Didier Dumas
(4) Se libérer du destin familiale Elisabeth Horowitz
Le psychisme à l’épreuve des générations – Clinique du Fantôme S. Tisseron – M. Torök – N. Rand –
C. Nachin P. Hachet – J-Cl Rouchy











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