Je te laisse ton histoire....
Au cours d’une constellation, nous proposons souvent de dire à un parent cette phrase je te laisse ton histoire ou je te laisse ton destin afin de dénouer l’intrication et que la personne retrouve le chemin de son propre destin, libre de jouir de l’élan de vie transmis par ses ancêtres.
Or, demander à un adulte/enfant de prononcer ces mots alors que son histoire et celle de son parent sont étroitement mêlées depuis parfois 40, 50 ans peut relever du défi, générer de la confusion, de la peur, des résistances, de l’incompréhension. Le constellant ou son représentant donnent à voir d’abord des parties meurtries de l’enfant. Et ces mots sont d’abord entendus par l’enfant blessé avant d’être intégrés par l’adulte.
Il sera alors opportun de préciser je te laisse ton histoire avec tes parties d’effondrement, ta tristesse, ta maladie, ton cancer, ta folie, ta dépression, ta violence selon le cas. Il est important de nommer ces parties qui sont disfonctionnelles, aberrées et anti-survie et qui font que les derniers arrivés dans le clan inversent le flux de vie en tentant de nourrir leurs ancêtres au lieu d’y puiser de l’énergie.
Si ces parties ne sont pas clairement identifiées, la personne risque d’avoir l’impression d’abandonner le parent, de le lâcher ce qui réactivera la culpabilité déjà présente et qui fait obstacle à prendre père et mère.
Car si l’enfant a pris sur son dos une partie de l’histoire d’un parent, c’est dans l’intention de sauver, soulager, soutenir ce dernier, de combler le vide créé par un parent exclu ou mort ; ce mouvement est mu par une autre intention fondamentale qui est celle d’appartenir au clan familial. Et pour appartenir à sa famille, l’enfant est prêt à payer un lourd tribut. Faire quelque chose pour le clan donne bonne conscience et entretient un sentiment d’innocence. Cela évite de contacter la peur, l’angoisse, l’impuissance. Appartenir est un besoin vital pour survivre.
Certains enfants croient qu’ils ne peuvent appartenir à leur famille qu’en se conformant à la folie d’un père, à l’énergie destructrice d’une mère ou en dupliquant le cancer d’une grand-mère, d’une mère. Ils croient que c’est à ce prix qu’ils pourront recevoir amour et reconnaissance.
Ils ne savent pas que la fidélité dont ils témoignent est porteuse de désordre, de mort pour eux-mêmes et les générations à venir ; ils ne réalisent pas que de telles intentions sont irréalisables et génératrices d’une impression d’échec constant qui va saper la confiance en soi et en la vie. De tels enfants développent ensuite les croyances qu’ils sont nuls, incapables, pas à la hauteur, qu’ils doivent être parfaits sinon ils ne méritent ni bonheur ni réussite.
Parce qu’ ils prennent en charge de tels fardeaux, ils vont se heurter à leurs limites, à leur impuissance ; ils se sentent dépassés par la tâche qu’ils se donnent car ils n’ont pas les ressources pour gérer une mission qui est impossible, au-dessus de leurs forces, capacités et qui ne peut que conduire à l’échec et au désespoir.
Pour tenter de manier la mission qu’ils sont imposée et ne pas ressentir l’impuissance, ils vont se croire
« tout-puissant » et mettre en place beaucoup d’efforts pour réaliser cette croyance ; il en résultera souvent que le corps et le mental s’épuiseront. Mais devenir un enfant dont le combat persiste et lui donne le sentiment d'exister, évite de ressentir les blessures et l’impuissance.
L’enfant intriqué, parentifié mûrit trop rapidement et de ce fait, son processus de croissance est bloqué. La force d’un adulte vient de décisions lucides, responsables où il évalue avec conscience ses limites, faiblesses et forces. Or, le petit enfant, dans la pensée magique, avec ses pulsions instinctives, ignore ses limites, se mettant ainsi en danger. Il ignore également que cela aura des conséquences sur les générations à venir.
Il sera alors opportun de préciser je te laisse ton histoire avec tes parties d’effondrement, ta tristesse, ta maladie, ton cancer, ta folie, ta dépression, ta violence selon le cas.
Nommer permet de distinguer les parties saines, porteuses de vie des parties malades, destructives. Cela permet de discerner que le chemin de guérison passe par la restitution de responsabilités qui n’appartiennent pas à l’enfant mais aux parents et par la reconnaissance de ce qui est. Car en luttant contre certains des aspects ou faits négatifs, nous restons prisonniers.
Sans cette clarification, l’enfant ne pourra pas aller vers une résolution et se détacher car il reste lié par un sentiment de culpabilité et l’idée qu’il peut faire quelque chose pour ses parents.
Nommer ces parties permet de reconnaître que tout n’est pas « mauvais » chez le parent et facilite alors l’identification aux côtés positifs et l’accueil de ce qu’ils ont donné au prix que cela leur a coûté.
Nos parents sont des Êtres qui ont plusieurs identités comme nous-mêmes d’ailleurs :
-la mère attentive, intelligente, capable de raison, de douceur, de créativité
-la mère déficiente qui ne prend pas responsabilité pour ses actes et reste dans la dépendance affective, cherchant du soutien chez ses enfants au lieu d’aller le prendre chez ses propres parents ou auprès de son conjoint
-la mère qui travaille avec compétence
-la mère dont la propre mère est morte d’un cancer fulgurant ou en donnant naissance à un petit frère ou en se suicidant pour suivre son propre père mort d’un accident.
-la mère vivante, joyeuse, légère.
Prendre père et mère, c’est reconnaître toutes ces facettes, au-delà du jugement, des considérations et que c’est à ce prix que nous sommes vivants. Toutes ces identités constituent la Personne et en exclure certaines empêchen de se sentir entiers, pleins.
Ainsi, dire Je te laisse ton histoire, c’est dire je te laisse tel que tu es. Je renonce à vouloir te changer et je vais vivre mon propre destin, et pour ce qui m’a manqué, blessé, je vais m’en occuper.
En retrouvant son propre élan, ses propres intentions, nous nous relions alors au parent aimant, à cette partie intacte et non blessée que toute Personne porte en elle. Ou plutôt que toute Personne est en Essence : le Soi, lConscience, Vacuité.
Christiane Perreau