Le Pardon : point de vue de Jacques Salomé
Réflexion sur le pardon
par Jacques Salomé
Autrefois valorisé par les chrétiens comme un acte de charité envers ceux qui nous avaient porté préjudice, le pardon est à la mode ! Il est aujourd'hui recommandé par tous les tenants de la pensée positiviste, comme une démarche nécessaire et souhaitable pour être mieux avec soi-même.
Incontestablement le fait de pardonner contient les germes d'un apaisement. Les ressentiments et les rancœurs contre celui qui nous a blessé s'apaisent, les ruminations et les pensées négatives diminuent et la relation avec celui auquel on a pardonné semble s'améliorer. Je voudrais cependant apporter quelques réflexions sur le sens du pardon, non dans sa dimension idéologique (ne pas entretenir de sentiments négatifs en soi et envers autrui), mais dans sa dynamique paradoxale. Pour cela rappeler les quatre grandes blessures que nous inscrivons en nous dans l'enfance et qui peuvent se réveiller à un moment ou un autre de notre vie d'adulte.
L'injustice.
Quand nous sommes accusés à tort, impliqués par erreur, ou que nos valeurs, nos convictions profondes sont bafouées ou blessées.
L'humiliation.
Quand nous sommes dévalorisés, disqualifiés, abaissés, que notre valeur n'est pas reconnue. Des sentiments diffus vont s'éveiller et se traduire par des doutes, de la non-confiance, une blessure de l'image de sol.
L'impuissance.
Quand nous sommes forcés, abusés, violentés physiquement ou moralement. Ce sera l'ensemble des violences qui ont maltraité à des degrés divers, notre corps ou notre psychisme.
La trahison et la tromperie.
Quand avec confiance, abandon nous nous étions confiés, engagés envers l'autre et qu'il transgresse cette confiance, cet engagement. Quand un être proche, cher, aimé n'est plus fiable.
Au moment des faits, dans la situation de crise, de conflits ou de violence le pardon ne peut-être présent, il ne peut être envisagé. Ce qui domine c'est la souffrance, l'incompréhension ou le désespoir.
Il faut souvent du temps pour retrouver des ressources, de la confiance, se rattacher à des valeurs, se reconstruire. Mais le temps ne suffit pas pour retrouver une image positive de soi ; le conseil qui est trop souvent proposé d'oublier, de pardonner ne me paraît pas non plus suffisant.
Dans l'esprit de la Méthode E.S.P.È.R.E.(®) que j'enseigne, le pardon sera remplacé par une démarche symbolique de restitution, de remise chez l'autre de la violence reçue. En fait une confirmation que la violence qu'il a déposée sur nous est bien la sienne. Il ne suffira pas de pardonner au sens habituel du terme, c'est-à-dire de donner à l'autre un quitus de son acte ou de son comportement qui aurait une triple fonction :
1) Soigner et réparer la relation meurtrie ou dénaturée par "ce qui s'est passé".
2) Libérer le pardonné de sa faute, voire de sa culpabilité.
3) Réconcilier le pardonnant avec lui-même.
En pardonnant, tel que nous le faisons habituellement, je crois que les points 1 et 2 sont atteints et que la plupart des gens en restent là. Pour le dernier point, pour que le pardonnant puisse se réconcilier avec lui-même, se laver de la violence reçue, je crois qu'il est important d'accompagner la démarche, par la remise d'un objet symbolique. Je vais illustrer ma proposition avec quelques exemples concrets :
Si une petite fille a été violentée à dix ans par le sexe d'un adulte, je propose qu'elle dessine, sculpte, modèle un sexe masculin, fasse un paquet et envoie le tout à son agresseur. Ceci avec un mot d'accompagnement disant entre-autres : « je vous restitue la violence que vous avez inscrite dans mon corps, je ne souhaite plus la garder en moi durant des années à venir. Cette violence est bien la vôtre ».
Car au-delà du pardon, tel qu'il est pratiqué, c'est cette démarche qui libérera cette ex-petite fille, devenue adulte de toute l'auto-violence qu'elle peut entretenir en elle depuis l'événement. Par exemple : blocages sexuels, vaginisme, infections génitales, appréhension de tout rapprochement sexuel même avec des êtres chers…
Il ne suffit donc pas de pardonner à son violeur ou à son agresseur, encore faut-il ne pas garder en soi la trace de la violence reçue. Dans un autre exemple plus banal, tel petit garçon qui a reçu de la part de son père ou d'un enseignant des jugements de valeurs ou des disqualifications, peut écrire les mots blessants sur un carton et les restituer, toujours avec ces mots d'accompagnement mentionnant : « Oui papa c'était ton point de vue sur moi, cette opinion je le laisse chez toi » ou, « Oui monsieur le professeur c'était bien votre croyance à vous, de penser que j'étais un idiot ou un paresseux. Cette croyance je la laisse chez vous ! »
Avec cette démarche symbolique, on démystifie le paradoxe contenu implicitement dans le pardon classique, où le pardonné va beaucoup mieux, on lui a donné quitus de son acte ou de son comportement, mais le pardonnant lui continuera à être pollué, imprégné par la trace toujours en lui, de la violence reçue. Même s'il se réconcilie en pardonnant avec l'image de lui même, il lui appartient de ne pas garder dans son corps, dans son imaginaire ou son psychisme, la violence déposée.
Si le pardon est l'amorce d'une libération et d'un mieux-être, il n'en épuise par pour autant tous ces possibles.
Lâcher-prise sur des souvenirs négatifs est une chose essentielle, mais se libérer et se réconcilier avec le meilleur de soi est un beau cadeau à se faire. La pratique des actes symboliques peut nous y aider.
Commentaire de Christiane
Ce texte a été transmis par Dominique <http://www.oser-com.com> et Hélène de Québec. vous pouvez aussi retrouvé ce texte sur http://www.j-salome.com/02-methode/0206-themes-application/260-maladie-02.htm. il m'a paru intéressant de le publier car il explique de façon claire ce qui risque de se passer chez celui qui pardonne.
Les constellations familiales nous permettent cette restitution symbolique, tout en permettant à la personne de faire l'expérience des ressentis négatifs liés aux tramatismes et à son rythme. C'est parfois difficile et long pour une personne de contacter sa haine, sa colère, même de nommer qu'elle a été humiliée ou maltraitée et de restituer cela à un parent. Certaines personnes pour survivre se sont sur-adaptées, se sont repliées dans l'indifférence et se sentent coupables d'avoir des émotions négatives vis à vis de leurs parents et de les exprimer.
Restituer au parent ou à un ancêtre ce qu'il a fait, ce qui lui appartient, donne souvent mauvaise conscience au "pardonnant" qui craint ainsi de ne plus pouvoir appartenir au système. Beaucoup de nos décisions pour aider, sauver, pardonner sont mues par ce besoin vital de se sentir appartenir à notre clan. C'est pour cela que les enfants sacrifient leur propre destin au profit de celui de leurs parents, Et se sentir appartenir donne bonne conscience.
Partage d'Hélène de Québec
Concernant les propos sur les blessures, Salomé reconnaît les mêmes que L. Bourbeau -sans hiérarchie chronologique cependant tout en les situant généralement avant l'âge de 10 ans-. Il les nomme blessures archaïques : trahison, abondon-rejet, humiliation-honte, injustice, impuissance et il en a ajouté une 6ème : intrusion dans l'intimité, qui peut aller jusqu'à l'abus comme dans les cas d'inceste.
Toutes ces blessures ne sont pas hermétiques, mais plutôt très voisines l'une de l'autre. Je pourrais facilement avoir vécu une situation d'injustice (disons la dominante) dans laquelle je me serais aussi sentie profondément humiliée, trahie, rejetée. L'essentiel étant de prendre conscience dans quelle mesure j'ai «soigné et guéri» ces blessures, sinon elles pollueront mes relations actuelles avec des personnes qui n'ont rien à voir avec ce passé. Salomé a écrit un petit livre qui s'intitule «Je mourrai avec mes blessures» (Entretiens avec Jef Gianadda Éditions Jouvence); cette lecture m'a apportée beaucoup de paix.