Prendre père et mère (suite et fin)

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Plus la rupture de cet élan a été précoce, plus l’enfant va construire des croyances fantasmatiques concernant la relation à l’Autre et, l’adulte qu’il va devenir s’enfermera dans un mode relationnel où il sera incapable  « d’aller vers » craignant à nouveau d’être déçu, trahi ou tout simplement de rencontrer le vide, le chaos dus à l’absence de l’Autre. «Comme je n’ai rencontré personne lorsque j’en avais besoin, qu’il n’y avait pas d’Autre pour moi ou accueillir mes peurs, mes colères, etc., j’ai la croyance invisible, non consciente, qu’il n’y aura jamais personne pour satisfaire mes besoins. Donc je me débrouille tout seul et je ne demande jamais rien à personne.»
 
Cet enfant n’a pas pu s’appuyer sur une mère ou un père qui étaient disponibles pour lui, totalement présents à lui dans une écoute accueillante et empathique, capables de satisfaire ses besoins, capables de lui donner une attention bienveillante qui procure le sentiment d’être compris, aimé et d’avoir sa place au sein de la famille et dans l’existence. Des pensées comme « qu’est ce que je fais sur terre ?, je n’ai pas demandé à venir, moi !, de toute façon, je n’ai jamais eu de place… » le hantent. Il n’a pas pu
« prendre père et mère » comme base solide de sa construction. Tous ces manques feront de cet enfant un adulte qui, n’ayant pu prendre appui sur ses parents, ne pourra pas non plus prendre de l’Autre et recevoir ce qu’aujourd’hui la Vie pourrait lui donner.
 
L’élan est coupé et le mouvement est interrompu dans les deux sens.

 
Il arrive aussi que le bébé soit confronté à des ruptures répétitives du lien.
C'est-à-dire que parfois, il sera en contact avec sa mère ou son père, puis pour une raison qu’il ignore et ne peut maîtriser, le lien va s’interrompre. Le contact avec ses parents sera alors une succession de ruptures de lien entraînant là aussi de graves perturbations dans le psychisme de l’enfant.
Ce qui représentera pour l’adulte autant de choses qui commencent mais ne peuvent jamais aboutir. Une succession de démarrage, « d’allers vers » et de ruptures de l’élan qui font que tout s’écroule et s’arrête net.

Ces personnes seront beaucoup dans la pensée, l’imaginaire (elles rationalisent leurs souffrances, leur existence) et ont du mal à entreprendre, à passer à l’action. Elles ont tendance à tourner en rond ou à hésiter longuement « j’y vais, j’y vais pas ». Les élans interrompus sont vécus comme autant de pertes, d’échecs et entreprendre implique le risque de ne pas y arriver. Un nouvel échec raviverait trop ceux du passé. Ou alors passer à l’action demande de déployer beaucoup d’efforts, les sensations de plaisir étant rares, voire inconnues.
 
Ce premier élan interrompu est souvent suivi d’autres mouvements interrompus car dans les premières années de son existence l’enfant peut-être amené à vivre des situations qui vont le couper de sa mère, son père, sa fratrie. Un enfant peut être momentanément placé chez ses grands-parents, une nourrice, de la famille éloignée parce que sa mère est en dépression ou hospitalisée pour maladie, ou bien encore accouche d’un autre enfant ou à cause d’une mésentente du couple parental, d’un divorce, d’un décès dans la famille, etc. Toutes ces raisons font que l’amour de l’enfant ne peut plus aboutir, ne peut plus être reçu. L’enfant doit à nouveau faire face au vide, au néant.
 
Des difficultés à entrer en relation ou à maintenir une relation, des tendances à vivre replié sur soi vont se manifester chez la personne adulte qui peut se sentir vidée d’elle-même, inexistante.

Toutes ces difficultés vont faire que l’enfant ne pourra pas prendre son père et/ou sa mère, c’est-à-dire les accepter eux et leur histoire.
Il ne pourra pas les reconnaître comme ses parents et rejettera tout ce qui vient d’eux. Ainsi le rejet devient comme une protection, une barrière de déni qui évite d’être en contact avec nos souffrances d’enfant insatisfait par des parents qui n’ont pas pu ou pas su être en lien avec nous et nous accueillir inconditionnellement. Des parents, qui bien souvent, n’ont pas été en lien avec leurs propres parents et sont eux-mêmes extrêmement carencés.
 
En effet, tous ces obstacles se retrouvent amplifiés par l’histoire héritée des parents, des ancêtres. Qui dans la lignée a connu la maltraitance, la folie, la dépression ? Qui dans la lignée n’a pas pu créer de liens avec ses propres parents ? Qui a perdu un père à la guerre et s’est retrouvé orphelin, sans les repères structurants de celui-ci ? Qui a perdu une mère morte en couches ou suicidée ou partie brusquement du foyer familial et n’a pas été contenu par des bras maternels ? Autant de coupures qui peuvent être constatées lors de la mise en place des lignées maternelles ou paternelles. Autant de coupures qui font que le présent de la personne n’est autre qu’une répétition de l’histoire familiale transgénérationnelle qui cherche à être reconnue et comprise.
 
Bien que nous ayons eu de bonnes raisons de ne pouvoir reconnaître nos parents, cela nous a coupés du simple fait qu’ils nous ont donné la vie et du coup, cela nous empêche de prendre notre vie en mains. Nous ne pouvons pas reconnaître que nous sommes vivants et ce, grâce à nos parents, nos ancêtres. Nous ne pouvons pas concevoir que nous avons droit au bonheur.
 
Le plus souvent, nous constatons malheureusement que ce comportement dessert la personne, car en rejetant ses parents c’est comme si elle rejetait une partie d’elle-même, une partie qui porte la Vie. Elle se prive d’une force vitale et rassurante qui pourrait lui permettre d’aller son propre destin avec liberté et joie. En faisant cela, elle peut aussi se punir pour le fait d’être déloyale envers ses parents en se limitant dans son existence, en se privant de plaisir. Dans certaines maladies graves, nous retrouvons cette dynamique : “je t’ai tant rejeté, exclu que je vais me punir en étant malade”.

Mais prendre père et mère, ce n’est pas prendre tout ce qui vient d’eux, ni prendre tout ce qui vient de nos ancêtres. C’est d’abord restituer à chacun ce qui lui appartient : à l’un sa folie, à l’autre sa maladie, sa tristesse, sa colère, ses actes néfastes. C’est dissocier ce qui est “bon de ce qui est mauvais”. C’est faire le tri de nos responsabilités et de celles de nos ascendants.

Prendre père et mère implique un double mouvement : celui de remettre à chacun ce qui lui appartient et celui de se relier au courant de Vie qui vient à travers les nombreuses générations qui nous ont précédées.
Prendre père et mère, c’est accepter ce qui est sans jugement, c’est donner du sens à ce qui est. C’est la possibilité de replacer nos ancêtres dans leur dignité et leur force. Ainsi nous pouvons nous détacher de ce qui fait mal et nous autoriser à devenir “grands”, autonomes, capables de faire croître ce don de la Vie. Et un jour, de le transmettre à notre tour. En faisant cela, nous nous permettons de devenir responsables de notre existence et nous rendons à nos ancêtres leur pouvoir.
 
Prendre père et mère c’est aussi et avant tout prendre la Vie en nous.

Brigitte Asselineau et Christiane Perreau



Selon Monique Bydlowsky, l'aptitude à devenir mère implique la reconnaissance
d'une gratitude à l'égard de celle qui a donné la Vie.
C'est ce qu'elle appele la dette de vie.
Monique Bydlowsky, La dette de vie, PUF



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